Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
WUNDERKIND. [ _ i used to do drugs but don't tell anyone or it will ruin my image]
23 juillet 2010

warning spectrum-

vanity_fair_01_002

C'est à la Comédie, qui a d'ailleurs été entièrement refaite en l'honneur de l'événement, que John Williams monte Un Mari Idéal, d'Oscar Wilde - ou encore Le Mari Idéal comme disent ces intellectuels qui parlent de La Maison de poupée. La troupe regorge de talents exceptionnels (voir publicité) avec, pour ne mentionner qu'eux, Constance Collier, Beatrice Beckley, Norman Trevor, Julian L'Estrange et Cyril Harcourt. J'ai entendu de nombreux critiques dire que le choix de Constance Collier dans le rôle de Mme Cheveley était malheureux, mais moi j'ai trouvé qu'elle jouait la jeune femme exactement comme je me l'étais imaginée, et je m'en suis trouvée ravie. Beatrice Beckley s'est retrouvée avec la tâche ingrate de jouer Lady Chiltern, une de ces femmes effroyablement vertueuses de Wilde qui ne peuvent faire la plus simple des observations sans placer à tire-larigot leurs fameuses expressions sabbatiques telles que "nous devons absolument". J'ai bien l'impression que Norman Travor, dans le rôle de Sir Robert Chiltern, vient d'adopter une toute nouvelle technique; l'idée est d'aller le plus vite possible dans ses monologues. Il bat tous les records mondiaux, notamment dans sa tirade du deuxième acte sur l'amour des femmes. De toute la troupe, c'est à Julian L'Estrange que je remets la palme. Il joue Lord Goring sans avoir l'air de faire le moindre effort, en prenant la chose vraiment calmement, déclamant ses épigrammes comme s'il venait tout juste de les inventer lui-même.

Mais d'une certaine façon, quel que soit le brio avec lequel la pièce a pu être mise en scène, ce n'est jamais l'intrigue dramatique qui attire le plus mon attention dans une pièce de Wilde, mais les spectateurs dans la salle. Il y a quelque chose, chez les spectateurs d'Oscar Wilde, qui me passionne toujours. Ils ont une façon d'être tellement conscients de leur raffinement, une si haute estime de leur culture. Ils sentent La Nouvelle République - avec leur air plus-Croly-que-vous-autres [Herbert David Croly fut le fondateur et le premier éditeur de The New Republic]. "Regardez-nous, ont-ils l'air de dire. Nous sommes les cognoscenti. Nous sommes venus en connaisseurs, contrairement à vous, pauvres abrutis qui n'êtes là que parce que vous n'avez pas obtenu de places pour le Jardin d'Hiver." Ils ont cette façon de descendre tout doucement dans l'allée centrale et de s'enfoncer dans leurs fauteuils avec cette grâce imparable, bien déterminés à ce que tout le monde remarque leur présence, car le fait même d'être là est la preuve tangible de leur érudition. Et dès le lever du rideau, ils ronronnent d'approbation, pour signifier qu'ils cautionnent et comprennent tout. "Oh, les répliques, les répliques", se murmurent-ils les uns les autres, comme s'ils étaient les premiers à découvrir que cet Oscar Wilde est un jeune écrivain vraiment très prometteur; et cette façon qu'ils ont d'utiliser le mot "brillant" à tout bout de champ, et d'un air tellement fier, comme s'ils venaient de l'inventer. Cela dit, il y a, dans leur enjouement, une légère marque de rigidité qui trahit bien le fait qu'ils se forcent à faire ce qu'on attend, semble-t-il, de leur intellect. Ce n'est pas le genre d'enjouement qui laisse les gens cloués sur leur siège, complètement captivés; on dirait presque qu'ils se forcent à montrer que rien ne leur échappe de toute la pièce, qu'aucun épigramme ne leur passe au-dessus de la tête, histoire de convaincre leur entourage qu'ils sont intelligents, fins d'esprit et qu'ils ont un goût imparable en matière d'art dramatique.

DOROTHY PARKER
Oscar Wilde Un Mari Idéal
Nov 1918 - Vanity Fair

Commentaires
Archives